[Cinéma] Ogre, la relecture réussie du monstre mythique.

A l’affiche dès demain, Ogre, comme son nom l’indique, ramène un mythe très ancien dans une France contemporaine. Il semblerait que le cinéma français aime moderniser certains monstres classiques (on pense aussi à Teddy, et son histoire de loup-garou barrée), ce qui n’est pas chose facile. Premier long-métrage pour le réalisateur Arnaud Malherbe (qui a produit plutôt pour la télé française), et porté par une Ana Girardot excellente, Ogre offre une expérience très intime, très sombre de ce que serait cette créature surnaturelle dans un monde où toutes les croyances sont plus ou moins écrasées par une vision cartésienne.  

Fuyant un passé douloureux, Chloé démarre une nouvelle vie d’institutrice dans le Morvan avec son fils Jules, 8 ans. Accueillie chaleureusement par les habitants du village, elle tombe sous le charme de Mathieu, un médecin charismatique et mystérieux. Mais de terribles événements perturbent la tranquillité des villageois : un enfant a disparu et une bête sauvage s’attaque au bétail. Jules est en alerte, il le sent, quelque chose rôde la nuit autour de la maison…

Film à voir, ou à laisser passer ? A vous de le découvrir dans notre article.

 

Ogre, les codes de l’ancien monde…

Le mythe de l’Ogre vient d’un passé très lointain. Les premières apparitions de cette créature débutent au XIIe siècle, mais globalement, on reste sur le même concept: l’ogre a une appétence forte pour la chair humaine, plus particulièrement celles des enfants. Presque incontrôlable, cette faim le pousse à consommer de la chair, peu importe son origine s’il n’a pas d’enfants sous la main. Bien plus grand qu’un humain normal, et aussi fort, l’Ogre détient plusieurs pouvoirs supposés, comme pouvoir se transformer en animal (on retrouve une similitude avec notre ami le vampire), et se déplace sous sa vraie forme de préférence la nuit. Doté de dents acérées, et d’un odorat digne d’un animal de proie, il traque à son rythme ses proies, utilisant son intellect pour les surprendre.

Le plus connu d’entre eux est bien évidemment celui qu’on trouve dans l’histoire de Petit Poucet, de Charles Perrault. Une interprétation plus récente pourrait tout à faire être les Titans de l’Attaque des Titans, sauf qu’eux croquent tout ce qui passe. Mais dans le visuel, des humains grotesquement grandis, avec un appétit pour la chair humaine, ça colle.

 

 

…mais ancré dans un monde moderne

Passées les croyances du Moyen-Âge et des périodes qui suivirent, on découvre un petit village perdu au milieu des bois, qui subit depuis peu les massacres de quelque chose de terriblement sauvage, et violent. Comme quoi, même en 2022 il est possible d’être isolé de tout.

Chloé et Jules ont besoin d’un nouveau départ, suffisamment loin de leur ex-conjoint/père ultra violent. C’est donc avec un peu d’appréhension, mais aussi de soulagement qu’ils arrivent dans le Morvan. Le village est tel qu’on peut imaginer un endroit du genre: une communauté très proche, car peu nombreuse, un paysage assez sauvage, mine de rien (des forêts gigantesques, des champs à perte de vue…). Ils amènent avec eux des problématiques réelles (violences familiales, handicap), dans un environnement qui subit déjà la ruralité en détresse. Le clash des deux univers perturbent les deux côtés, qui font semblant de comprendre, mais sans vraiment y réussir (on pensera à la fête du village).


Le seul qui a l’air assez “normal” est Matthieu, le médecin du village. Son charme particulier séduira rapidement Chloé (on peut pas lui en vouloir, Samuel Jouy est superbe dans son rôle), mais amène avec lui une noirceur particulière, comme un fruit pourri perdu derrière les meubles.

Jules, malentendant de naissance, profite des grands espaces à sa disposition  pour reprendre pieds après cette fuite un peu brutale. Au contact de la nature, il se découvre d’étonnantes capacités, notamment celle d’entendre des choses qui bougent dans la nuit… Son handicap le fera se confronter au regard des autres, et on sait pertinemment que les enfants ne sont pas tendres entre eux.

Ce qui est effrayant, un point de vue que Stephen King a toujours maitrisé de manière très juste, est la réaction des villageois face à ce qui se passe. Ils préfèrent rester dans une omerta propre à ces endroits où tout le monde se connait, alors que des personnes disparaissent, et des animaux se font ouvrir en deux. Personne ne dit rien, n’évoque rien et préfèrent fermer les yeux, en attendant que ça passe. Sauf que c’est leur passivité qui aide le monstre à commettre ses méfaits. Qui est le plus monstrueux, au final ?

Une mise en scène très bien menée

Pour un monstre qui se cache dans les ombres et la nuit, Ogre est le film parfait. Tout est fait pour que la lumière et les ténèbres se confrontent, dans une majorité de plans, que ce soit des sources de lumières, ou même deux personnages totalement opposés.

Les différents paysages s’y prêtent très bien, et on se retrouve dans des visuels glauques, mais terriblement simples. On est bien en France, une France qui se veut moderne, mais on revient dans un endroit isolé, où perdurent encore des croyances d’un autre âge.

Le son, de part le handicap de Jules, a également une place importante dans le film. Et c’est vraiment pas un talent qu’on lui envie, d’entendre les craquements des branches sous le poids de quelque chose de lourd, autour de chez lui. 

Enfin, la façon de filmer, très intelligente, est faite à hauteur d’enfant, pas d’adulte. Cette contre-plongée constante aide à renforcer encore cette sensation d’impuissance vis-à-vis de la situation. L’ogre étant une métaphore psychologique de l’adulte tout-puissant face à l’enfant, ça prend tout son sens, et c’est une idée bienvenue dans ce récit. 

Une fin un peu déroutante

Si le côté surnaturel est très léger, vous vous en doutez, on verra quand même l’Ogre sous sa vraie forme. C’est plutôt réussi, suffisamment dérangeant, sans pour autant gommer totalement la personne qu’on a vu à l’écran tout du long. 

On reste cependant sur sa faim (ahah) car le film se termine sur un climax, mais sans expliquer quoi que ce soit. Le premier tiers du film pose une ambiance fantastique, mais qui s’étiole très rapidement, et finit par s’effondrer, par manque de soutien. Les deux autres tiers sont bien moins subtils, et même s’ils sont corrects, manquent de ce soin apporté au début du film.

Est-ce que l’imagination fertile de Jules a-t-elle altéré le récit ? Ou est-ce qu’il s’est vraiment passé ce qu’il s’est passé ? La question reste en suspens, et ça pourra laisser un sentiment d’inachevé à une fable moderne, et malgré tout, filmée de manière très intelligente. 

Conclusion

L’allégorie poussée au maximum de l’ogre, figure bestiale, toute puissante, et prédatrice des enfants, est maitrisée. Le casting réussit à merveille son interprétation (mention particulière à l’interprète de Jules, Giovanni Pucci) et nous offre un film singulier, à la fois très suggestif, mais aussi qui fait travailler le cerveau. 
Après tout, qu’est-ce qu’un ogre, sinon celui qui assume ses penchants, au milieu d’un troupeau de moutons qui baissent les yeux ?

A vous de le découvrir dès demain en salles !

Vous pouvez découvrir en attendant la préquelle, sous la forme d’un film d’animation, avec la voix de l’actrice principale Ana Girardot (ça vous donnera quelques pistes de réflexion).

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